Le Viet-Công, Artemisia annua, l’arteannuin B et l’artemisinine

Traduction et illustration d’un texte de Pierre Lutgen publié le 30 décembre 2016

L’histoire officielle, les rédacteurs d’articles de revues ou de sites web grands publics aiment prêter à un homme ou une femme exceptionnelle les découvertes qui ont marqué les esprits. Ainsi la découverte de l’artemisinine extraite de la plante Artemisia annua et des propriétés antipaludéenne de ce composé est attribuée à la scientifique chinoise Tu Youyou qui reçu pour cela le Prix Nobel de médecine en 2015.

Pierre Lutgen reconstitue une l’histoire plus complexe et collective de la reconsidération des vertus des plantes antipaludéennes de la pharmacopée traditionnelle chinoise dont l’artemisinine n’est qu’un des composés actifs.

Le Viet-Công, Artemisia annua, l’arteannuin B et l’artemisinine

Traduction et illustration d’un texte de Pierre Lutgen publié le 30 décembre 2016

Cet article est la traduction et l’illustration d’un texte de Pierre Lutgen : The Viet-Công, Artemisia annua, arteannuin B and artemisinin publié le 30 décembre 2016

Le Viet-Công, Artemisia annua, l’arteannuin B et l’artemisinine

Artemisia annua est tombé sous les projecteurs pendant la guerre du Vietnam. Le Viêt-Cong qui opérait dans les marécages et les forêts tropicales perdait plus de soldats par les piqûres de moustiques que par les balles américaines. Confronté à cette situation Ho Chi Min s’est tourné vers la Chine pour obtenir de l’aide.

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Des chercheurs de l’Institut chinois de Materia medicai ont découvert une région de la Chine qui ne signalait aucun cas de paludisme. Lorsqu’ils ont enquêté, ils ont découvert que ses habitants buvaient une décoction d’Artemisia annua dès les premiers symptômes du paludisme.

Récolte d’ Artemisia annua en Chine

En fait, l’Artemisia sauvage était utilisée depuis des millénaires dans plusieurs régions de Chine et est toujours utilisée pour traiter les fièvres et le paludisme. Il était facile d’acquérir des tonnes de cette herbe séchée pour le Viêt-Cong. Pris comme une infusion cela a fonctionné à merveille. Les Américains, fidèles à leurs pilules dérivées de la quinine moins efficaces, n’ont jamais su ce qui se passait.

Déjà en 1967, confrontées à une forte recrudescence du paludisme dans les provinces du sud, les autorités chinoises ont lancé un programme national impliquant plusieurs centaines de scientifiques chinois. Une partie de ce projet, appelée « Programme 523 », visait à explorer la phytothérapie traditionnelle chinoise.
Plus de 1000 échantillons de différentes herbes ont été étudiés selon les méthodes modernes et l’isolement des principes actifs est surveillé par dépistage antipaludéen sur des modèles animaux.

De nombreux principes actifs ont été isolés, par exemple le yingzhaosu, de la médecine antipaludique traditionnelle Dichroa febrifuga et Arbotrys uncinatus. Il semble donc que ces activités aient débuté plusieurs années avant la guerre du Vietnam et la demande d’aide du Vietcong. Et que les activités scientifiques ont eu lieu dans un programme national et non caché quelque part dans les sous-sols.

Dichroa febrifuga
et Arbotrys uncinatus

Référence : Xiao-Tian Liang, We-Shuo Fang, Medical Chemistry of Bioactive Natural Products. Edited by Chinese Academy of Medicinal Sciences Beijing. Translation Wiley Interscience 2006

Les études avec des extraits d’Artemisia annua n’ont débuté qu’en 1972 et peut-être sous l’influence de certaines informations venues d’Europe. N’oublions pas qu’Artemisia annua pousse à l’état sauvage sur la plupart des rives des rivières côtières européennes : Elbe, Rhin, Po, Rhône et Danube. Les Serbes ont présenté les résultats de leurs recherches sur Artemisia annua en février 1972 lors d’une conférence internationale en Inde. La référence à cet ouvrage est citée dans le livre Chinese Materia Medica, CRC Press, New York 1993, de You-Ping Zhu.

Un an plus tard, il a été publié dans une revue à comité de lecture bien connue, Tetrahedron Letters.

Référence : D.Jeremić, A. Jokić, A. Behbud, M. Stefanović, Un nouveau type de lactone sesquiterpénique isolé à partir d’Artemisia annua L., Tedrahedron Letters 1973 Vol 14- Iss 32, 3039-3042

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La molécule a été décrite en 1974

Référence : Uskoković MR, Williams TH, Blount JF. The structure and absolute configuration of arteannuin B. Helvetica chimica acta 57:3 1974 Apr 27 pg 600-2 and Helv Chim Acta, 1974, 27 ;57, 602-15.

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Au début des années 1970, les Suisses de l’ETH de Zurich travaillaient sur l’arteannuin B et en publiaient les résultats. Ils ne pouvaient guère avoir de contacts avec les Chinois et l’administration d’infusions d’Artemisia annua aux soldats vietcongs.

Référence : DG Leppard, M Rey, AS Dreiding, R Grieb. The structure of arteannuin B and its hydrolysis product. Helv Chim Acta, 1974, 27 ;57, 602-15.

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Tout cela explique peut-être pourquoi les Chinois ont commencé leur travail sur Artemisia annua avec arteannuin B. L’administrateur principal du projet était Zhang Jianfang et impliquait des équipes de recherche à Hainan, dans le Yunnan, dans le Shandong et à Beijing.

Référence : Mao-Tian Liang, Wei-Shuo Fang, editors, Medical Chemistry of Bioactive Natural Products, Wiley-Interscience, 2006 New Jersey

Les premiers essais avec l’arteannuin B (qinghaosu II) ont été lancés à Hainan en octobre 1973 par le docteur Li Chuangjie. Au total, huit cas ont été étudiés, trois avec paludisme à vivax et cinq avec paludisme à Plasùodium falciparum.

Dans les deux infections, la normalisation de la température a pris 30 heures et la parasitémie a été éliminée en 65 heures. Mais au cours du suivi, les parasites sont réapparus après quelques jours ou quelques semaines. Deux patients n’ont pas répondu et ont été considérés comme des échecs de traitement. Dans une large mesure, il est logique que les travaux en Yougoslavie et en Chine aient commencé avec l’arteannuin B, car les espèces d’Artemisia disponibles étaient du type riche en artannuin B et pauvre en artémisinine. En particulier l’Artemisia annua de la province de Beijing.

Référence : Youyou Tu . The discovery of artemisinin (qinghaosu) and gifts from Chinese medicine. Nature Medicine. 2011, 17, 1217–1220 doi:10.1038/nm.2471

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À la fin de 1972, l’Institut des Materia medica chinois de Pékin a identifié et séparé plusieurs composants actifs, dont l’un avait un effet antipaludique et s’appelait qinghaosu II.

En 1973, des tests de toxicologie précliniques sur des animaux ont été effectués. L’arteannuin B (qinghaosu II) a présenté une toxicité cardiaque chez certains animaux. Ceci explique pourquoi les progrès ont ralenti dans les années 1973. Enfin, l’arteannuin B a été testé sur trois chercheurs et n’a montré aucune toxicité apparente. Les dirigeants ont donc accepté de commencer les essais cliniques avec l’arteannuin B.

Un essai clinique portant sur trente patients atteints de paludisme à vivax a été mené dans la province du Shandong et a été comparé favorablement à la chloroquine. Dans le même temps, Zhan Eryi et Luo Zeyuan de l’Institut de Materia medica du Yunnan ont amélioré les méthodes d’extraction et isolé les cristaux blancs dotés de bonnes propriétés antipaludiques. Cela s’appelait qinghaosu ou artémisinine.

En janvier 1974, le siège de l’institut a organisé une réunion de tous les responsables de bureau du projet 523 dans les bureaux de district. En mai 1974, un essai clinique portant sur l’artémisinine a été mené avec 26 cas de paludisme à vivax. Dans la plupart des cas, aucun parasite n’était détectable dans le sang 48 heures après l’administration du médicament. Mais les taux de récidive étaient élevés, chez 4 patients sur 5. Des résultats similaires ont été obtenus en novembre 1974 par l’équipe de Li Guaqiao pour 18 cas de paludisme à falciparum. Fin février 1975, le siège national a convoqué une nouvelle réunion de tous les dirigeants de la province à l’hôtel Beiwei Road à Pékin. Il a été décidé que toutes les unités de recherche devraient concentrer leurs efforts sur l’artémisinine.

Référence : Zhang Jianfang editor. A detailed Chronological Record of Project 523 and the Discovery and Development of QingHaosu (Artemisinin), Translation Keith and Muoi Arnold 2006, ISBN : 978-1-62212-164-9

L’un des premiers articles de l’équipe chinoise examinés par des pairs portant le nom de Tu Youyou et relatant la découverte de l’artémisinine a été publié en 1979 par une équipe de scientifiques chinois. Tu Youyou n’était pas l’auteur principal, mais co-auteur.

Référence : Liu JM, Ni MY, Fan JF, Tu YY, Wu ZH, Wu YL, Chou WS (1979) Structure and reaction of Arteannuin. Acta Chim Sin 37:129–143

Un autre article non signé a été publié à la même date.

Qinghaosu Antimalaria Coordinating Research Group : Antimalaria Studies on Qinghaosu, Chinese Medical Journal. 1979, 92.12

À la même date, le ministère de la Santé a désigné six institutions pour le prix de la découverte du Qinghaosu :

- Academy of Chinese Traditional Medicine
- Shandong Institute of Traditional Medicine
- Yunnan Institute of Materia Medica
- Institute of Biophysics of the Chinese Academy of Sciences
- Shanghai Institute of Organic Chemsistry
- Guangzhou College of Traditional Medicine

Tu Youyou n’est apparemment pas la première personne à avoir découvert l’action antipaludique de l’extrait, ni la première personne à avoir isolé le Qinghaosu antipaludique non plus, et ces parties du travail n’ont pas été effectuées selon ses instructions. L’isolement du principe actif, l’inhibition des parasites chez la souris et les essais cliniques primaires ont été réalisés par trois institutions.

Tu Youyou

En effet, l’artémisinine a été découverte en 1972 à partir de feuilles d’Artemisia annua par Zhenxsin Wei. Des voix critiques en Chine se sont élevées après que Tu Youyou eut remporté le prix Nobel. "Je ressens de la joie et du chagrin", a déclaré Liu Changhua, professeur d’histoire. "Je suis heureux que la drogue ait sauvé des vies, mais si c’est le chemin que doit suivre la médecine chinoise à l’avenir, je suis triste. Les sociétés pharmaceutiques occidentales examinent la pharmacopée traditionnelle à travers le monde à la recherche de nouveaux médicaments. Si c’est le chemin que nous devons emprunter, je pense que c’est un manque de respect pour notre patrimoine culturel. Artemisia est utilisé de façon continue depuis des siècles pour lutter contre le paludisme et d’autres fièvres ».

Le Dr Nicholas J. White, éminent chercheur sur le paludisme à Oxford, a déclaré qu’il n’était « pas juste de créditer cette découverte à un individu ». Pendant toutes ces années, les recherches sur les extraits d’Artemisia annua se sont poursuivies et d’autres molécules ont été étudiées. Deoxoqinghaosu a été synthétisé à partir d’acide arteannuique et s’est révélé plus efficace contre la souche K173 de Plasmodium berghei que pour le composé naturel qinghaosu.

Référence : B Ye ; Y-L Wu ; G-F Li ; X-Q Jiao, Antimalarial activity of deoxoqinghasosu, Acta Pharm. Sin., 1991

On espérait également que d’autres variétés d’Artemisia pourraient contenir des molécules plus efficaces que l’arteannuin B ou l’artémisinine.

Le scientifique chinois Shengua (1095) et Li Shisten (1593) ont découvert qu’Artemisia apiacea, qui ne contient pas d’artémisinine, avait de meilleures propriétés antipaludiques que Artemisia annua.

Ce résultat ne peut être considéré comme une surprise car les scientifiques chinois Shengua (vers 1095) et Li Shisten (1593) ont découvert qu’Artemisia apiacea, qui ne contient pas d’artémisinine, avait de meilleures propriétés antipaludiques qu’Artemisia annua.

Artemisia apiacea

Outre Artemisia apiacea, une grande variété de plantes Artemisia a été étudiée au cours de ces années par les Chinois : Artemisia eriopoda. Artemisia argyi, Artemisia anomala, Artemisia japonica, Artemisia gmelini.

Références :

Yin Jianping, Tu Youyou, Chemical constituents of woolystalk wormwood (Artemisia eriopoda). Zhongcaoyao 1989, 149-50 ISSN 0253-2670

Gu Yuncheng, Tu Youyou, Chemical constituents of Japanese wormwood (Artemisa japonica), Zhongcaoyao, 1993, 24(3) CODEN : CTYAD8

Wu Chongming, Tu Youyou, Isolation and identification of the lipophilic constituents from Artemisia argyi, Zhongcaoyao, Tongbao 1985 10(1) 31-2, ISSN 0254-0029

Xiao YQ, Tu Youyou, Identification of the lipohilic constituents of Artemisia anomala. Yao Xue XUE Bao, 1984, 19, 909-913

Wu C, Tu Youyou, Studies on the constituents of Artemisia apiacea Hance, Chin Trad Herbal Drugs 1985, 6. 2-3.

Wu C, Tu Youyou, Studies on the constituents of Artemisia gmelini. Chin Bull Bot 1985 3, 34-7

Toutes ces études de l’équipe autour de Tu Youyou reflètent un manque de confiance en l’artémisinine et en Artemisia annua. Cela ressemble à chercher une aiguille dans une botte de foin.

Les taux d’échec persistants avec la monothérapie de l’arteannuin B et de l’artémisinine ont conduit à certains essais avec des extraits d’Artemisia annua administrés en gélules. Le résultat était encourageant. Le taux de guérison des infections à Plasmodium berghei et Plasmodium vivax était de 100%. Cette formulation s’est révélée meilleure que la chloroquine en ce qui concerne l’affaissement de la fièvre et la disparition des symptômes du paludisme, alors que le taux de recrudescence était encore élevé, ce dernier pouvant être inhibé par une augmentation de la durée du traitement ou du temps d’administration quotidien.

Référence :

Wan YD, Zang QZ , Wang JS Studies on the antimalarial action of gelatin capsule of Artemisia annua. Chinese Journal of Parasitology & Parasitic Diseases 1992, 10(4):290-294

Mis en ligne par La vie re-belle
 6/08/2019
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